C'est compliqué, tout ça...

J'y suis allée gaillardement, ça me semblait une idée lumineuse.

Quoi de plus simple, en effet, que de se rendre à l'agence Pôle emploi spécialisée dans l'hôtellerie-restauration si l'on souhaite obtenir des renseignements sur une formation pour une éventuelle reconversion dans la restauration. Oui, vous avez remarqué, je circonspecte, je circonvole, je limite mes ambitions : je me contente d'espérer des renseignements.

Je vous épargne le trajet jusqu'à ladite agence Pôle emploi, entre le site des transports en commun de Bordeaux qui m'a indiqué une station de tramway à mille miles de l'endroit où je souhaitais me rendre, la signalétique aléatoire, la certitude de plus en plus affirmée que la circulation pédestre et piétonne ne devrait pas tarder à devenir un délit, tant elle est d'ores et déjà entravée et contrariée (voitures garées sur les trottoirs, trottoirs pratiquement inexistants, etc.). Adaptabilité, bonne humeur et pied de chèvre, telles sont les armes du piéton hardi.

Lorsque je pousse la porte de Pôle emploi, je défaille de joie : pas de file d'attente.

─ Bonjour, Madame ! interpelé-je avec énormément de dynamisme la dame qui se trémousse sur un tabouret à l'accueil. Je voudrais tout d'abord m'assurer que je suis bien à l'agence Pôle emploi spécialisée dans l'hôtellerie-restauration ?

C'est pas que je sois méfiante, mais si quand même un peu.

Elle acquiesce et complète, dans un souci d'exhaustivité louable :

─  Hôtellerie, restauration ET agroalimentaire.

Si ça peut lui faire plaisir. J'y vais de mon petit blabla, comme quoi, voilà, renseignements, reconversion, restauration.

─ Ouh la la ! Mais c'est compliqué ! Votre référent aurait dû basculer votre dossier sur notre agence !

Je comprends bien en effet la complication du truc surout qu'elle écarquille bien les yeux, outrée. Je finis tout de même par oser lui dire que les problèmes de basculement de dossier, ce n'est pas vraiment mon problème à moi, que je viens de traverser Bordeaux et Talence et donc, est-ce que quelqu'un pourrait tout de même me recevoir ou me donner quelques renseignements ?

─ Ouh la la ! Mais c'est compliqué !

Et elle brandit une feuille remplie de noms pour appuyer ses dires. Elle repart en boucle un petit moment sur l'énorme, l'invraisemblable  complication de tout cela. Comme j'insiste, elle consent à m'indiquer que je peux essayer de venir le matin la semaine prochaine, sans garantie qu'on me reçoive, vu que mon dossier n'est pas basculé, c'est compliqué.

Et soucieuse de faire son travail jusqu'au bout, elle ajoute :

─ Et puis, il faut venir avant midi.

Je l'ai un peu mal prise, sa remarque, surtout son petit air entendu et son bec pincé et je ne lui ai pas envoyé dire que j'en avais assez d'entendre ce genre d'insinuations sur les chômeurs, ces gros feignants qui n'arrivent pas à se sortir du lit le matin, on se demande bien pourquoi, surtout que c'est tellement simple et stimulant de chercher des renseignements à l'autre bout du monde !

A ce moment, je me suis retournée et j'ai vu les regards de veau des chômeurs qui étaient arrivés entre-temps. L'air de soumission répandu sur leurs faces m'a écoeurée et je suis sortie de là-dedans de mon grand pas et j'ai appelé mon mari pour partager avec lui ce moment de pure réalité.